Les quatre associés et cofondateurs du cabinet WEMEAN plaident pour une raison d’être concrète et opérationnelle à tous les niveaux de l’organisation. Selon eux, la clé de la transformation réelle, c’est l’embarquement de tous, avec, au bout du chemin, une nouvelle dynamique d’entreprise, de la valeur partagée et un impact positif dans la société.
Décideurs. Vous accompagnez les entreprises dans la recherche de leur raison d’être. La crise sanitaire que nous venons de traverser a-t-elle bousculé ce processus?
L’équipe WEMEAN. La crise a servi de catalyseur et d’accélérateur pour la raison d’être. Nous le constatons au quotidien dans les entreprises. Aucun dirigeant ne peut passer à côté de ce sujet qui est une attente des collaborateurs, des clients, de toutes les parties-prenantes et de la société. Il y aura un avant et un après Covid, sans doute un des rares effet positif de cette période. Pas un sujet devenu « secondaire », bien au contraire, mais un enjeu compris comme « fondamental », « fondateur ». La réflexion sur la raison d’être conduit à tracer l’avenir des entreprises et l’horizon d’utilité qu’elles se choisissent. C’est donc là que se joue le rapport à la crise que nous vivons aujourd’hui.
Précisément, la crise sanitaire a eu des conséquences immédiates et profondes pour les organisations. La principale a été d’interroger chaque dirigeant sur ce que devait être le rôle de l’entreprise dans un monde plus que jamais incertain voir inconnu…
À quoi sert mon entreprise dans ce monde si son activité peut être arrêtée du jour au lendemain ? À quoi je sers, moi, dans cette organisation et dans la société si je dois rester chez moi ? Ce sont les questions fondamentales que nous nous sommes tous posés. Ces questions sur la place des entreprises et le rôle de chacun seront tout autant d’actualité pour la reconstruction et la reprise. C’est pour cela et parce que le besoin de sens est partout que le sujet de la raison d’être et de la façon dont on la rend concrète doit être selon nous « en haut de la pile » dans l’après-crise.
La Covid-19 a-t-elle été un vecteur d’accélération des transformations positives des entreprises comme vous le supposiez l’an dernier?
Oui, c’est la crise liée au Covid qui a accéléré la nécessité de se transformer pour répondre aux attentes de notre société. D’une certaine façon, cette crise a obligé chaque entreprise à donner du sens – un sens utile, tangible – à son action dans un monde qui en avait besoin. Plusieurs exemples comme l’agilité conjoncturelle des acteurs du luxe et de la grande consommation qui ont adapté leurs chaînes de production pour fabriquer du gel hydroalcoolique ou des masques sont frappants.
De même, pour la grande distribution ou l’industrie pharmaceutique montées en première ligne et le plus vite possible dans la crise au service du collectif. Une majorité d’entreprises ont engagé des transformations positives directement liées aux conditions de poursuite de l’activité malgré les confinements et le travail à distance. Il a été notamment question de continuité, d’organisation, de management, de communication et d’écoute.
« Une raison d’être concrète, c’est l’affaire de tous, à tous les niveaux et dans tous les métiers »
Plus profondément, la crise interroge les modèles et l’utilité dans la société avec des implications dans le « delivery » et l’opérationnalité des changements. C’est pour cela que la raison d’être n’existe que dans l’action et la mise en oeuvre: elle fonctionne comme un « levier » car elle est un moteur pour s’améliorer constamment. C’est dans ce sens que la raison d’être exige de définir des objectifs et de les rendre « évaluables » dans une logique d’indicateurs et de KPIs. Ces transformations ne se feront pas sans remises en cause et sans frottements. Le chemin pourra alors être difficile parce qu’il oblige à changer vite et fort… mais il n’y en a pas de meilleur.
Que pensez-vous de l’avancement de la France quant à la recherche de la raison d’être des entreprises? Est-ce pour vous un sujet assez valorisé dans l’Hexagone?
Le sujet de la raison d’être a été très visible et très débattu depuis l’adoption de la loi Pacte. C’est une bonne chose mais elle doit aujourd’hui jouer un rôle transformatif et ne pas être une simple formule qu’on adopte au besoin dans ses statuts. La raison d’être ne vaut que si elle est l’affaire de tous, à tous les niveaux dans tous les métiers et jusqu’au niveau opérationnel.
Dans une entreprise, chacun des salariés doit contribuer à mettre en oeuvre la raison d’être. C’est ce qui lui donne une réalité et ce qui donne du sens au rôle de chacun. Il faut savoir, dans son quotidien, « en quoi je contribue à réaliser la raison d’être de mon entreprise ». Si l’on peut répondre à cette question à tous les niveaux de l’entreprise, c’est qu’on a été au bout de l’exercice. À l’inverse, l’entreprise qui se doterait d’une raison d’être qui ne vienne pas de son corps social et qui ne se traduise pas opérationnellement autrement que dans sa communication est en risque. Celui d’en être comptable et redevable à court terme. La raison d’être oblige.
« La communication joue son rôle en valorisant les preuves et les engagements »
Quelle est la différence entre une entreprise qui définit sa raison d’être, et « une société à mission » ?
La raison d’être est une étape sur le chemin de l’entreprise à mission, ce qui ne veut pas dire que toutes les organisations ont vocation à devenir entreprise à mission.
Nous pensons qu’il y a d’abord la nécessité de se doter d’une raison d’être, de la décliner opérationnellement avant de se poser la question de la mission qui est encore un autre projet, plus engageant mais aussi plus contraignant. Il faut y être prêt et donc s’y préparer car c’est une évolution qui a des conséquences en termes juridique, de gouvernance et de stratégie. Il faut accepter ce temps de la réflexion et du travail sur la mission sans tomber dans l’écueil du « tout tout de suite » qui peut se révéler un piège et créer l’incompréhension des parties prenantes. C’est donc aussi une problématique de communication que de savoir raconter le chemin sur lequel l’entreprise avance, en responsabilité et en transparence, pour aller vers l’entreprise à mission.
En revanche, le dispositif de la société à mission nous semble une inspiration intéressante, même pour les entreprises qui n’en revendiquent pas officiellement la qualité: il oblige à définir des objectifs sociaux et environnementaux liés à sa raison d’être et à les évaluer par un double système de suivi interne et de contrôle externe. Il fait aussi bouger la réflexion sur les modalités classiques de la gouvernance en « ouvrant » le monde de l’entreprise au monde extérieur et en assurant une plus grande représentation des salariés dans les instances de gouvernance. Cela nous semble sain.
Dans une société où les notions de « Body/Think positive », de « partage » et de « transparence » sont devenues des tendances de communication courantes qui fleurissent partout, n’existe-t-il pas un risque pour une entreprise de ne pas réussir à trouver une identité et une raison d’être singulière ?
Une bonne raison d’être est le croisement entre des enjeux contemporains et des fondamentaux de sens spécifiques à l’entreprise. Par exemple, la raison d’être du Groupe Rocher « reconnect people to nature » répond à la fois au constat que la rupture du lien avec la nature est délétère pour les humains comme pour la planète, et elle réactive aussi l’expérience fondatrice du jeune Yves Rocher qui, à l’âge de 14 ans, passa deux ans dans la nature. Ensuite, la singularité se fait au niveau de la déclinaison et de l’appropriation.
Le plus important dans une organisation c’est que chacun contribue à la raison d’être à la fois par le partage du projet qu’elle porte mais également dans sa mise en oeuvre. C’est de cette façon qu’on peut parler de singularité et d’appropriation. La communication doit être alignée avec la raison d’être en apportant en permanence des preuves et des engagements.
Le digital est-il un levier qui facilite la créativité des entreprises ou au contraire un espace de concurrence dangereux et impitoyable?
Le digital et les réseaux sont le carrefour de la participation et de l’engagement des entreprises et de leurs collaborateurs. C’est un formidable levier d’échange, d’engagement, d’interaction et de participation. Quand Orange lance le chantier de sa raison d’être, une partie de la participation des collaborateurs se fait via les réseaux sociaux parce que c’est le lieu qui rassemble tout le monde, plus qu’un intranet ou un réseau d’entreprise et le plus efficace qui soit.
C’est une réalité avec laquelle nous vivons, qu’il faut accepter et surtout utiliser de la bonne manière pour créer un dialogue et une concertation permanente: le digital doit, lui aussi, définir sa raison d’être ! Le temps n’est plus à la défiance mais à l’action sur les réseaux sociaux, avec ce que cela suppose de précautions, de responsabilité et de garde-fous. En tout cas, c’est par les réseaux sociaux que l’on suscitera la créativité au sein des entreprises, c’est une certitude.