Le 16 janvier dernier, SeaBird, partenaire conseil de référence des métiers de l’Assurance et de la Banque est devenu société à mission. Un engagement supplémentaire pour une entreprise qui a déjà fortement innové en termes de gouvernance, avec la création d’une Fondation actionnaire « SeaBird Impact » en 2019. Interview avec Cyrille Vu, son P.D.-G., qui porte haut le désir de faire bouger le monde qui nous entoure en incarnant un capitalisme plus inclusif et durable.
Interview
1/ Bonjour Cyrille. Pouvez-vous nous raconter le déclic qui vous a initialement conduit à modifier en profondeur la gouvernance de Seabird pour créer une Fondation actionnaire il y a 4 ans de cela ?
Fin 2018, l’associé fondateur demande à sortir avec des exigences exorbitantes alors qu’il est sleeping partner depuis 4 ans et qu’il n’a donc plus de rôle opérationnel depuis longtemps. SeaBird est alors en hypercroissance, son chiffre d’affaires ayant été multiplié par dix en dix ans. À ce moment, je me demande quels mérites sont les siens qui justifient de gagner autant d’argent, en si peu de temps. Cela m’amène à une réflexion miroir : et moi, bientôt actionnaire majoritaire de l’entreprise, qu’est-ce qui justifie que je capte autant de valeur ?
Je me suis du reste toujours questionné sur l’origine des inégalités parmi les hommes, sur le sens de l’existence aussi. Je crois avoir été assez convaincu par Rousseau. Me sont aussi venues, et avec plus d’acuité avec ce conflit actionnarial, des questions sur le mérite, la méritocratie. Et là, sans être un spécialiste, c’est plutôt Bourdieu qui m’a inspiré : les mérites des uns et des autres deviennent relatifs si l’on considère l’inégalité originelle des capitaux économique, social, culturel mais aussi génétique d’un individu. Parallèlement, j’ai également développé une très forte conscience écologique et plus largement une conscience de la situation contemporaine inédite pour l’humanité : les enjeux climatiques mais aussi démographiques, sociaux, technologiques…
Toutes ces réflexions à la fois existentielles et très concrètes m’ont conduit à considérer que je ne suis pas véritablement propriétaire de SeaBird. C’est une société de conseil : il n’y a pas de brevets ni d’usines, la valeur, plus que dans toute autre industrie, ce sont des hommes et des femmes… Je ne peux pas considérer que je suis propriétaire de cette entreprise comme je le suis d’une matière inerte comme un appartement.
Ma conclusion a été alors très claire : il faut partager les richesses. Tout détenteur de pouvoir (économique, intellectuel, politique, artistique, d’influence…) a la responsabilité éminente de se mettre en action et de mettre sa richesse au service du bien commun.
2/ Concrètement, pouvez-vous nous décrire cette gouvernance originale entre entreprise et fondation actionnaire ?
Nous avons construit un écosystème de conseil avec une Fondation actionnaire (de statuts juridiques « Fonds de dotation ») dont l’empreinte capitalistique est significative et dont le secteur d’activité est aligné avec la raison sociale de la société commerciale. Ces deux caractéristiques combinées en font toute l’originalité. Quand beaucoup d’entrepreneurs font une nette distinction entre business et philanthropie et peuvent avoir bâti leurs richesses sur un modèle qui abîme la nature ou l’humain pour ensuite être dans le « give back » en montant une fondation (le plus souvent pas actionnaire) qui s’emploie à réparer le monde et les humains… Je ne crois pas hélas que cela soit suffisant car l’activité économique est alors dissociée du bien commun.
Nous, nous voulions explorer la réconciliation entre secteurs lucratif et non lucratif, entre l’économique et le philanthropique, entre sens et performance. L’avenir me semble être dans ces modèles hybrides qui n’empêche pas le développement des entreprises, mais au contraire l’encourage puisque l’impact positif généré n’en est alors que plus fort !
Pour ce faire, je me suis dépossédé et j’ai donné 23% des titres du Groupe SeaBird à la Fondation actionnaire (le Fonds de dotation SeaBird Impact). C’est un modèle de gouvernance novateur : une Fondation actionnaire détient tout ou partie du capital d’une entreprise privée. Une partie des profits générés par SeaBird sert ainsi à opérer et à financer les actions philanthropiques de la société.
SeaBird Impact conduit des projets d’intérêt général en promouvant et développant des initiatives à impact social et environnemental positif auprès des acteurs du secteur de l’assurance. Pour renforcer la circularité vertueuse entre nos métiers et notre impact positif, nos programmes s’inscrivent donc dans les métiers de l’assurance et de la finance.
Notre mission consiste à développer et soutenir des projets d’intérêt général au service d’une assurance inclusive et durable au travers de trois axes complémentaires : produire des études et soutenir des travaux de recherche dédiés à l’intégration des défis sociaux, technologiques et environnementaux dans les référentiels d’évaluation, renforcer l’inclusion de publics issus de la diversité sociale, territoriale ou culturelle, et soutenir l’entrepreneuriat à impact.. Nos collaborateurs sont associés à ces actions via un programme de mécénat de compétences.
D’autre part, j’ai mis en place un plan d’actionnariat salarié en ouvrant le capital du groupe à tous les salariés dès 3 mois d’ancienneté. Ce FCPE salariés possède aujourd’hui, avec la société des managers et directeurs associés plus de 16% du capital du groupe et trois-quart des salariés sont aujourd’hui actionnaires de notre entreprise. Les salariés bénéficient également d’un plan d’intéressement et de participation.
Le partage est une de nos cinq valeurs et, vous le voyez il structure de façon concrète notre modèle de gouvernance. Nous construisons un modèle d’entreprise redistributif et durable.
3/ Ce 16 janvier, SeaBird est également devenue société à mission. Pourquoi avoir choisi d’« ajouter » cette qualité au dispositif existant ?
Pour aller plus loin dans l’impact au quotidien et ne pas laisser cela à la fondation SeaBird. En devenant société à mission, nous voulons aller un cran plus loin pour renforcer ce qui est déjà initié avec la fondation SeaBird Impact. Nous voulons nous donner plus encore les moyens d’agir pour faire bouger les lignes, avec humilité, mais détermination. Pour aligner le plus possible les activités du secteur lucratif avec celles du secteur non lucratif.
Notre raison d’être est de « Placer le développement des potentiels humains au cœur d’un modèle d’entreprise inclusive et durable ». Nos engagements statutaires associés sont :
- Accompagner la transition écologique et sociale des acteurs Assurance/Banque.
- Prendre soin de l’humain, cultiver le potentiel de chacune et chacun et favoriser l’épanouissement d’un collectif engagé.
- Partager la création de valeur et la prise de décision de manière équitable et responsable.
Pour les rendre concrets, nous les avons déclinés en 8 objectifs opérationnels et 34 actions dont nous réservons la primeur à nos collaborateurs et à notre écosystème et qui seront divulgués au cours des prochaines semaines.
Je peux cependant vous donner un exemple sur l’objectif de meilleur partage de la valeur : avant même de devenir entreprise à mission nous étions en chemin, avec la mise en place notamment du FCPE salarié.
4/ Ces innovations en termes de gouvernance contribuent-elles de répondre aux défis environnementaux, sociaux, politiques, qui se posent pour le milieu de l’assurance ? Si oui, comment ?
Oui elles y répondent, mais de manière générique et pas spécifiquement à ce stade pour le secteur de l’assurance. Car le fond des problèmes que nous rencontrons ne sont pas ceux qu’on nous met sous le nez. Le réchauffement climatique c’est l’arbre qui cache la forêt. Le fond du problème, c’est notre rapport à la nature. C’est notre incapacité à dépasser nos instincts prédateurs initiaux. C’est fondamentalement le sujet de notre incapacité à partager la valeur, à partager le pouvoir. Entre toutes les parties prenantes au premier rang desquelles désormais on trouve la planète, la nature et les générations futures.
Notre écosystème de conseil intervient cependant de manière lucrative et non lucrative dans le secteur de l’assurance pour l’aider à se transformer et à se placer à la hauteur des enjeux à horizon 2050. Mais nos actions, en tant qu’écosystème de conseil d’un nouveau genre, sont encore jeunes et modestes. Nous avons cependant des projets, notamment au sein de la Fondation, mais aussi au sein de la société commerciale, de nature à faire contribuer l’écosystème SeaBird de manière de plus en plus significative à l’avenir pour accompagner le secteur dans la transition de nos sociétés.
Au sein de la fondation nous souhaitons incuber ou soutenir des startups à impact, au travers notamment de notre partenariat avec Finance4tomorrow devenu récemment l’Institut de la Finance Durable, , mener une étude prospective sur l’assurance dans un monde post-croissant. Dans la sphère commerciale, nous avons conçu ou allons concevoir des offres d’accompagnement à la transformation de la fonction de CFO à la fonction de Chief Value Officer, des offres ISR ou encore Risque Climatique…
5/ Comment cohabitent la logique entrepreneuriale avec ces dispositifs de gouvernance ?
C’est tout l’enjeu. Comment garder la culture entrepreneuriale, le sens de l’innovation et l’impact au quotidien, un développement qui fait la part belle au long terme vs le court terme ?
En réfléchissant à des mécanismes de gouvernance agiles qui laissent de grands espaces de liberté, d’intrapreneuriat et d’innovation, sans remettre en cause le projet inclusif et durable. C’est une exploration, je n’ai pas toutes les réponses. C’est ce que nous essayons de construire, de manière un peu utopique, mais quelle aventure !